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Histoire de la langue • Re: Le parler populaire au 18e siècle

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Je me permets de recycler un texte que j'avais écrit sur le sujet il y a une quinzaine d'années.

Les formes comme "j'avions" sont des conjugaisons censés être populaires qu’on trouve dans beaucoup d’œuvres et de chansons anciennes et modernes pour caractériser le parler paysan. Par exemple, Molière fait parler Pierrot dans Don Juan ainsi :
Enfin donc, j’estions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste: car comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi par fouas je batifole itou. […]
Enfin donc, je n’avons pas putost eu gagé que j’avons vu les deux hommes tout à plain qui nous faisiant signe de les aller quérir, et moi de tirer auparavant les enjeux. « Allons, Lucas, ç’ai-je dit, tu vois bian qu’ils nous appelont: allons viste à leu secours. Non, ce m’a-t-il dit, ils m’ont fait pardre. » Oh donc tanquia, qu’à la parfin pour le faire court, je l’ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j’avons tant fait cahin, caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tous nus pour se sécher ...


Maupassant, qui a souvent mis en scène des paysans normands, leur fait dire par exemple :
- Allons, viens-t'en, Jérémie. J'allons passer l'temps aux dominos.
C'est mé qui paye.


Autre dialogue paysan de Lécluse :
La Jacquelaine : J'sommes contente, j'les aurons toujours ben.
Maré-Jeanne : Ouin ! quand j't'aurons encore donné le bal.
La Jacquelaine : Tu n'oserais venir avec moi ?
Maré-Jeanne : Pourquoi pas ? j'vons par-tout la tête levée ; toujours
faisant bien, rien n'craignons.


Enfin, dans une chanson de Désaugiers :
J'en savons un passé maître
Qu' j'avons vu l'aut' soir ;
Gn'y a qu'un moyen de l' connaître
Et c'est d'aller l' voir.


L’auditeur français moderne a tendance à voir dans ces façons de parler une conjugaison à la première personne du singulier (« je ») assortie d’une terminaison empruntée au pluriel (« -ons » ou « –ions »). Et c'est ainsi que les parodies modernes sont écrites. Mais c’est peut-être le contraire qu’il faut comprendre : le « je » serait mis en fait pour le « nous » du pluriel. Ainsi, le « j’estions » doit s’interpréter « nous étions ». Ce qui soutient en partie cette interprétation, c’est que la langue acadienne a conservé cette conjugaison.
Ou encore la conjugaison du patois de Retz.
D'ailleurs, le premier passage de Molière peut s'interpréter au pluriel.
Dans les autres, c'est un parler paysan plus fantaisiste.

Statistiques: Publié par Leclerc92 — mar. 25 mars 2025, 20:07



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